Camarades, ci-dessous vous pourrez lire avec délectation ce que certains privilégiés ont déjà pu ouïr dans les bas-fonds de certaines salles obscures. Cette copie de l’Ode à la Hure est tirée des statuts de 1930 de la Société Luxembourgeoise. Elle se récite et s’écoute toujours debout décalotté et dans le silence le plus respectueux afin de faire honneur à son auteur, Constant GRIBOMONT.
Quel est ce monstre à la face hirsute
Avec ses redoutables crocs,
Qu’on dirait taillés pour la lutte
Ou pour pulvériser des rocs?
Sa gueule est terrible et têtue,
Il a du sang au coin de l’oeil ;
Cette chose toute velue
Paraît dure, comme un écueil !
Etudiants, bourgeois, c’est la hure;
Sachez que son poids est très lourd,
Sachez que sa tête est très dure:
C’est l’emblème du Luxembourg.
D’où vient que lorsqu’il passe en rue,
Aucun ne reste indifférent;
Qu’on le siffle ou qu’on le salue
Quand il émerge sur nos rangs?
C’est que l’on hait sa tête grise,
Ou bien qu’on l’aime , ou qu’on en a peur;
Mais personne ne la méprise:
Tous savent intacte son honneur.
Si jamais tantôt l’heure sonne
De tous courir sur nos remparts,
Pour défendre l’Ame Wallonne
Contre ces flamingants bâtards!
Alors on verra face à face
Notre hure et leur vieux lion;
Lequel à l’autre fera place?
Permets-tu que nous en doutions!
Par une suprême ironie
Pour emblème ils ont des lions
Que la Flandre et la Wallonie
N’ont jamais vus dans leurs sillons
Pour trouver un symbole digne
Ils ont traversé l’océan
N’ayant pu trouver comme insigne,
Dans leur pays, rien d’assez grand.
Mais toi, tu vis sur notre terre,
Que tu ravages sous tes pas
Lorsque tu t’en vas solitaire:
Et tes fils ne t’en veulent pas.
Pardonnant à ta frénésie
Ils mangent un peu moins de pain
Pour mieux mordre à la poésie
Que tu sèmes sur ton chemin
Te rappelles-tu quand la meute
Te força dans ton élément,
Que tu faisais face à l’émeute
La gueule ouverte largement:
Epouvantant jusqu’au plus brave,
Tandis que les chiens, frémissants
Regardaient, sur tes dents, la bave
Se mélanger avec leur sang
Ah! C’est bien nous, quand on nous touche
Que réveille ton souvenir!
Car nous ne fermons pas la bouche
Lorsqu’on voudrait nous la tenir.
Et l’adversaire, à la tête dure,
Contemple, l’oeil hagard et fou,
Nos lèvres distillant l’injure,
Et nos poings rendant coup sur coup.
Figé sur le bout d’une pique
Ne te désole pas trop fort
De n’être plus qu’une relique:
S’ils t’ont tué… tu n’es pas mort
Ou du moins tu sauras revivre
Dans l’âme des gars de chez nous
Qui garderont comme en un livre,
Ton souvenir terrible et doux.
Plus tard dans la grande bataille
Pour la patrie et pour la foi
Quand frappant d’estoc et de taille
Nous songerons encore à toi:
Tes mânes vont tressaillir d’aise
En constatant l’élan nouveau
De ceux qui, hier, dans la fournaise,
Avaient la hure pour drapeau!